Mon Chalon à moi

"De temps à autre, quand il faisait beau et que les devoirs n'étaient pas trop contraignants, la quadrette d'un même accord se décidait le dimanche à faire un peu de marche. L'itinéraire privilégié suivait la Saôe tout du long. Du pont Saint-Laurent au Pont des Dombes (le fameux Transpanouillard convoyeur de panouilles de maïs et de betteraves à sucre, où la voie ferrée surplombait la rout sans que personne eût jamais pris ce train, mais c'éait un but de promenade qu'on pouvait repérer de loin et qui était censé donner du coeur au vente), d'un pont à l'autre donc, on suivait les quais de Saône, qui d'ailleurs étaient loin d'être aussi bien aménagés et fleuris qu'à présent. J'aimais, en contrebas, imaginr les laveuses de la Plate, leurs commérages incessants, leurs coups de battoir homériques, leur vocabulaire coloré - l'imaginer, oui, car le dimanche la Plate était fermée et sa cheminée de traviole n'était pas surmontée de son panache de fumée noire. J'aimais surtout la vue sur l'autre rive, avec l'hôpital si élégant, les clochetons aux ardoises luisantes et surtout la tour du Doyenné avec sa fascinante architecture du XVème siècle, sa couleur pâté de foie, sa base hexagonale et sa décoration d'angle en pierres blanches contrariées. J'aimais ce paysage tranquille avec toute cette eau, je m'y sentais bien, je n'ai jamais eu envie de vivre ailleurs."